Le syndicalisme ne séduit plus

Mis en échec depuis vingt ans, le syndicalisme perd de son pouvoir d’attraction. Les campagnes de syndicalisation sont plus ardues que jamais. Plutôt qu’un manque d’intérêt des travailleurs, ce déclin reflète les conditions d’un marché du travail difficile et inégalitaire.

Royaume du syndicalisme en Amérique du Nord, le Québec compte l’un des plus hauts taux de syndicalisation des pays de l’OCDE, avec 1 268 8000 salariés syndiqués en 2013, soit 36,3 % des travailleurs actifs. Ce chiffre est stable depuis la fin des années 1990. Au chapitre des employés visés par une première convention collective cependant, la baisse est de 35 % entre 2001 et 2013, passant de 13 300 salariés à 8 500. Ce paradoxe braque les projecteurs sur la difficulté de mener une campagne de syndicalisation au Québec en 2015.

« Ce ne sont pas les salariés qui ne sont pas intéressés à la syndicalisation, ce sont les conditions de travail qui la rendent excessivement difficile à réaliser », affirme Paul-André Lapointe, professeur au Département des relations industrielles de l’Université Laval.

Les maux du syndicalisme

Au premier chef, la farouche opposition des patrons face à la syndicalisation est bien plus importante aujourd’hui que dans les années 1950 et 1960. Les sagas du Walmart de Jonquière et du Journal de Montréal, couplées aux fermetures des McDonald’s et Couche-Tard en processus de syndicalisation, découragent les employés québécois qui espèrent eux aussi se syndiquer.

La déstandardisation du travail rend également plus difficile la syndicalisation, c’est-à-dire que les travailleurs à temps partiel et à contrat sont moins intéressés à se regrouper, puisqu’ils n’en tirent pas beaucoup de bénéfices. Les travailleurs autonomes, dont le pourcentage est maintenant à 15 % de la population active, ne peuvent quant à eux pas se syndiquer.

Le haut taux de roulement du secteur des services fragilise aussi les syndicats, surtout dans le secteur tertiaire privé, peu syndiqué. « Un travailleur sur trois change d’emploi aux 3 ans, ce qui permet à l’employeur de facilement faire tomber la convention collective une fois échue », explique Paul-André Lapointe.

Le pouvoir de négociation des syndicats s’est considérablement affaibli, comme en témoigne la stagnation des salaires dans le secteur public depuis la fin des années 1990. Celle-ci coïncide avec le début de l’atteinte de l’objectif zéro, qui pousse les gouvernements à réduire leurs dépenses et donc leur masse salariale. « Le fait que les syndicats s’opposent aux politiques d’austérité en ce moment démontre leur reprise de vitalité et leur dynamisme », note cependant le professeur.

L’avenir dans la balance

Selon lui, l’avenir du syndicalisme se jouera sur sa capacité à s’étendre à d’autres secteurs. Celui de la construction compte déjà 60 % de syndiqués, et le secteur public atteint les 82 %. Les priorités: la nouvelle économie, qui regroupe les technologies de l’information et de la communication ainsi que la recherche scientifique, et le secteur des soins aux personnes (âgées, en perte d’autonomie, malades, petite enfance). Très peu syndiqués, ces deux secteurs en pleine expansion sont les cibles à atteindre pour éviter que le Québec ressemble à son voisin américain, cancre du syndicalisme.

« Il faut innover pour mieux faire accepter aux patrons l’idée de la syndicalisation. Des syndicats forts, ça veut dire une société plus égalitaire, une main-d’œuvre plus qualifiée, une meilleure qualité de service et des entreprises plus productives », ajoute Paul-André Lapointe. Tellement plus productives, en fait, que même les patrons en profiteront.

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